6. Indifférenciation



     Le Même et Le Différent.



Le Même et Le Différent ont des termes finalement permutables et indistincts par croisement ; ils sont donc indifférents l’un à l’autre.

On croit spontanément le Même différent et opposé du Différent alors qu’en fait, le Différent est le même strictement identique du Même.

Prenons comme un exemple type deux philosophes canonisés de très longue date, deux monuments historiques en somme, officiellement classés très différemment par leurs doctrines respectives  en apparence très éloignées l’une de l’autre, philosophes auxquels on attribue précisément et séparément la paternité de ces doctrines, et dont les commentaires d’experts très avisés se nourrissent de comparatifs très oppositifs et différenciés.

Une première fois déjà, l’un comme l’autre ont été revisités ; on se rend compte un jour qu’ils utilisent respectivement dans leur œuvre des modalités très différentes d’approche, de construction de leur thèse et des jargons aux inflexions très dissemblables, pour finalement parvenir à des conclusions sur les choses et des convictions très voisines, voire identiques lorsqu’on pousse le raisonnement dans ses plus ultimes des ultimes retranchements, ou si l’on préfère, lorsqu’on se place à un ultime niveau scrutateur ; conclusions très voisines donc, mais la plupart du temps passées inaperçues comme telles une première fois, ou même plusieurs fois, car masquées derrière de fortes contradictions apparentes, ceci à cause de la technicité appuyée des discours respectifs de ces deux philosophes, technicité qui lorsqu’elle est poussée à l’extrême, surévalue et surdétermine à son propre insu et par les termes et les concepts dont elle use, le contenu sémantique des dits termes chargés de produire le discernement et  « l’écart à l’autre »  dont elle se pare. Il y a donc ici une illusion de prisme.

La place particulière, comme précurseur et symbole d’un courant d’idée, respectivement attribuée à chacun de ces deux philosophes dans la chronologie de l’Histoire De La Discipline, n’est donc pas justifiée car elle s’est faite sur des considérations ou des présupposés erronés lorsqu’on y regarde de très très très près.

Par ailleurs, il n’est pas contestable   - les témoignages historiques de ce point de vue là sont innombrables -    que d’autres personnes dont on n’a pas forcément voulu retenir le nom pas suffisamment visible, avant l’arrivée sur scène de ces deux philosophes, ou qui n’ont pas obligatoirement retenu l’attention au bon moment,  c’est-à-dire purement opportunément,  ont, à la modalité près, pensé à peu près les mêmes choses antérieurement, même si c’est de façon certainement moins élaborée ou moins volumique. Or, comme pour conforter une maxime populaire voisine disant  : « Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? », l’adhésion individuelle et collective à un point de vue, n’est pas directement proportionnelle à son degré de sophistication ou à la complexité de son échafaudage, mais à l’efficacité supposée de sa mise en œuvre. L’exemple type est celui de la théorie économique la plus solidement construite et maintes fois citée par nos média au présent et qui, pour autant, ne convainc pas les citoyens français qu’elle doive s’appliquer pour permettre à la fois de faire substantiellement baisser le chômage et augmenter la compétitivité des entreprises.
Ceci nous conduit à penser que trop de contorsions savantes et dialectiques sur un sujet donné peut parfois aussi conduire à l’effondrement de l’Idée. En somme, trop d’idées tue les idées ; trop d’idées aboutit à leur propre implosion et donc à un mouvement de surplace ininterrompu sur le fil de l’infini…

Comme pour les soi-disant inventeurs de telle ou telle ou telle autre machine concrètement matérielle, donc, le courant de pensée que l’on attribue spontanément à tel ou tel philosophe en en faisant le précurseur avéré, en l’entourant d’une auréole de commentaires élogieux, est une attitude collective abusive, de préfabrication arbitraire, car ledit philosophe n’est pas parti de rien   - le rien total est un non-sens absolu en soi, sauf à le considérer comme l’expression ultime et la résultante de la totalité des choses réunies incluant l’échelle cosmique ; le vide intersidéral n’est lui-même pas, un Rien Du Tout -.   

Ce philosophe n’est donc pas parti de rien pour élaborer sa doctrine ; celle-ci s’inscrit fatalement dans un continuum d’idées antérieures placées sur la chaîne humaine depuis les origines, des idées regroupées par niches, préexistantes et prépositionnées par leur caractère de « noyaux en gestation purement évolutifs » et déjà par nature portées par un élan de type tendanciel, en état de construction continue, participant donc, de fait, à l’élaboration d’une « doctrine non constituée », puis  une fois décidée, pour devenir ce qu’on veut bien appeler les frontières d’une doctrine lambda constituée.

Ainsi, les frontières d’une doctrine, autant que la date de sa naissance elle-même, sont purement conventionnelles, artificiellement concoctées. La doctrine  n’est en réalité qu’une modulation placée sur la courbe des modulations et des inflexions infinies d’une Même Idée Reconnue être de nature philosophique…

L’incertitude de ce qui fait, génère, décide à un Moment Donné de la constitution d’une Classe d’Objets Donnés, d’une Catégorie Donnée, d’une sous-catégorie aussi, placée face à son vis-à-vis et alter ego de tessiture un peu différente, par l’esprit comparatif, engendre la dilution de la question « du Même et du Différent », puisque, ce qui est à l’œuvre, c’est le rabotage jusqu’à l’annulation, de l’écart entre ces deux termes comparés.

En outre et toujours dans la même idée que le Différent se duplique pour se fondre vers le Même, nous avons pu faire l’expérience, sur nous-mêmes qu’il existe primordialement, naturellement et de façon innée chez certains groupes de personnes dites profanes envers la discipline philosophique, des inflexions, des orientations, des attirances ou des répulsions spécifiques des prédispositions venant de la pensée, des modes de fonctionnement animés par une certaine forme de la conscience, ce que nous désignerons aussi un peu curieusement en la personnifiant, comme étant certains états d’esprit sous-jacents de la Pensée elle-même.

Comme une constante, ces attributs d’une pensée, pour commencer presque vulgaire, puis un peu plus tard, forgée de façon empirique, se retrouvent, s’emboîtent et convergent étonnement, se renforçant au gré des lectures occasionnelles, voire disparates, de certains auteurs virtuoses, d’érudits en philosophie situés dans certains courants de pensée déjà constitués…

Il y a donc, indubitablement, de façon nettement plus répandue qu’on ne le croit, une prédisposition offensive et localisée en des croyances sectorielles ou catégorielles mais oppositives entre elles, de type philosophique, et qui vont à l’encontre de la prétendue rareté des découvreurs, tous domaines confondus.

Grâce à l’infinie plasticité de l’esprit humain qu’aucun ordinateur n’égalera jamais, des personnes accèdent seules, par des voies contournées, aux mêmes conclusions sur les choses, que les héros, les phénix, les auteurs intronisés et présumés de tel ou tel autre corpus d’idées.


                                                                        Guy Paradoxe

                                                                                               Rédigé en 2012

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