Guy Paradoxe

Notre ère idiote simplement calibrée pour gogos hilarants, margoulins à géométrie variable ou marchands de soupe, est devenue celle de l'audit permanent tous domaines de l'activité confondus, et  du conditionnement des foules à se vautrer dans l'impatience chronique. Cette perversion qui consiste à fonder un verdict sur l'instantané et le sprint aux dépens de la durée, sur l'instant au détriment de l'acquis laborieusement façonné par la maturité du temps, cette perversion à la gloire du ponctuel attestant l'éphémère constamment réitéré pour le chausser du plomb qui normalement fait défaut aux vrais fugitifs, ces louanges du lièvre donc et cette colique cosmique visant une civilisation de masse, n'ont évidemment pas épargné l'édition française lancée à corps perdu dans le tourbillon-piège des cadences infernales pour débiter son flot ininterrompu de cachous selon le principe des échantillonnages successifs présentés sous forme de séquences de plus en plus brèves… instaurant par-là même, dans l'arène du Sélectif, le désordre, la confusion fort propice à transformer La Qualité des œuvres en simple réceptacle de leur indistinction ou de leur permutabilité définitive, avec l'arbitraire pour corollaire. La profusion est nivelante, et tout en sapant les bases, elle tasse le sommet.

S'étonnera-t-on dans ces conditions outrageusement simplificatrices, de l'avidité hurlant sa systématique et son stéréotype, presque morbide, des directeurs littéraires au titre usurpé, travestis en simples agents de marketing, mais officiant dans la sphère explicative, pour les seuls textes répondant à une théorétique de l'entendement immédiat, excessivement explicites donc, la très convoitée concision à l'appui de préférence, (puisque plus pratique pour le créneau schématique accessible à la multitude en plus du gain qu'elle procure sur l'horloge), de leur réflexe conditionnel déjà acquis en héritage à leur insu, transmis par la grande et grand-guignolesque trouvaille " des lumières " pour comble, et sans voir bien sûr, qu'en chaque circonstance finalement, l'eau de roche est un artefact ?

S'étonnera-t-on de leur consensuelle aversion pour les ouvrages traitant, avec une intime minutie, et sur le clavier de la logique raisonnante, de la pénombre universelle, ou résidant en chaque chose perceptible, de l'énigme inéluctable à laquelle aboutit toute question, même la plus anodine, lorsqu'on l'épluche par le menu détail, à laquelle se réduit toute théorie issue de La Recherche, fut-elle scientifique très confirmée, lorsqu'elle est disséquée jusqu'aux confins du paroxysme ?

S'étonnera-t-on de leur aversion profonde pour ces rares ouvrages qui, par leur clairvoyance, leur authentique modalité de tisserand ou leur teneur très interne plongeant aux abysses, difficilement traduisibles, sauf pour les patients scrutateurs de hiéroglyphes, et en rapprochant leur consistance intrinsèque de la circularité dialectique qu'ils indiquent à prendre comme modèle pour penser toutes les choses, donnent précisément l'exemple flagrant de cette finalité ésotérique inscrite en chaque recoin Du Monde ou encore de ce en quoi consiste " l'objet solide ", la consistance de la Réalité Vraie étant toujours placée sur l'interligne de deux catégories articulant l'alternative du jugement voulu par L'Entendement ?

S'étonnera-t-on de leur aversion profonde avons-nous dit ? Ce n'est pas tout à fait exact, indifférence totale bien plutôt serait le qualificatif qui conviendrait le mieux pour des marchands de cacahuètes sans vergogne.

La cause de toutes ces misères pour la dimension humaine à dessein présentement réduite en noble part pour étriquer le principe de causalité, et affectant son annexe artistique, n'en doutez point, encore et toujours… L'ARGENT.

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Il est une très vieille tradition aux vestiges encore vivaces, dont on s'enorgueillit toujours dans les milieux littéraires hexagonaux, celle qui prête à la fonction première de l'écrivain, Le Combat, l'obligation pour lui de se hisser au rôle actif de porte-parole et légitime justicier face aux abusifs pouvoirs en place émaillant l'Histoire, face au vrai scandale qu'installent à chaque fois sous une forme ou une autre, leurs infectes censures. En écrasante part jusque là, cette fierté démocratique s'adressait aux différentes oppressions politiques ou étatiques, sans omission dit-on, à quelques rudes exceptions près, comme pour les règles de grammaire.

Mais qu'en est-il exactement lorsque, totalement isolée, l'imprudente et pamphlétaire dénonciation pour vice manifeste, immoralité structurelle et censure larvée, vise cette fois-ci, et hors du champ politique, le domaine d'activité le plus emblématique par excellence, le temple en un mot et creuset de toutes les anticensures, de tous les droits de suite entrepris au nom du Bien Fondamental, celui de l'EDITION EN PERSONNE ?
C'est bien connu, il est nettement plus difficile d'abattre un ennemi de l'intérieur ; s'agissant en outre d'un tel mastodonte aux ramifications tentaculaires auquel prétend se frotter un simple électron libre du genre lilliputien à peine primo-infecté, l'entreprise, croyez-bien, confine carrément à un héroïsme de type kamikaze et a de quoi faire gentiment sourire par son insignifiance.

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